Page:London - Le Talon de fer, trad. Postif.djvu/72

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tenu sa promesse de lui faire faire un voyage à travers l’enfer ; mais je ne pus savoir quelles scènes diaboliques avaient défilé devant lui, car il était trop interdit pour en parler.

À un moment donné, pénétrée que j’étais de ce bouleversement de mon petit monde à moi et de l’univers entier, je me pris à penser qu’Ernest en était cause. Nous étions si heureux et si paisibles avant sa venue ! L’instant d’après, je compris que cette idée était une trahison contre la réalité. Ernest m’apparut transfiguré en un messager de vérité, avec les yeux étincelants et le front intrépide d’un archange livrant bataille pour le triomphe de la lumière et de la justice, pour la défense des pauvres, des délaissés et des déshérités. Et devant moi se dressa une autre figure, celle du Christ. Lui aussi avait pris le parti de l’humble et de l’opprimé à la face de tous les pouvoirs établis des prêtres et des pharisiens. Je me souvins de sa mort sur la croix, et mon cœur se serra d’angoisse à la pensée d’Ernest. Était-il aussi destiné au supplice, lui, avec son intonation de combat et toute sa belle virilité ?

Et soudain, je reconnus que je l’aimais. Mon être se fondait dans un désir de le consoler. Je songeai à ce que devait être sa vie sordide, mesquine et dure. Je pensai à son père qui, pour lui, avait menti et volé, s’était éreinté jusqu’à la mort. Et lui-même était entré à la filature à l’âge de dix ans ! Mon cœur se gonflait du désir