Page:London - Le Talon de fer, trad. Postif.djvu/79

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qu’ils identifiaient avec la probité. Ils s’adressaient à moi d’un ton paternel, avec des airs protecteurs vis-à-vis de ma jeunesse et de mon inexpérience. De tous ceux que j’avais rencontrés au cours de mon enquête, ceux-ci étaient bien les plus immoraux et les plus incurables. Et ils restaient absolument persuadés que leur conduite était juste : il n’y avait ni doute ni discussion possible à ce sujet. Ils se croyaient les sauveurs de la société, convaincus de faire le bonheur du grand nombre : ils traçaient un tableau pathétique des souffrances que subirait la classe laborieuse sans les emplois qu’eux-mêmes, et seuls, pouvaient lui procurer.

En quittant ces deux maîtres, je rencontrai Ernest et lui racontai mon expérience. Il me regarda avec une expression satisfaite.

— C’est parfait, dit-il. Vous commencez à déterrer la vérité par vous-même. Vos conclusions, déduites d’une généralisation de vos propres expériences, sont correctes. Dans le mécanisme industriel, nul n’est libre de ses actes, excepté le gros capitaliste, et encore il ne l’est pas, si j’ose employer cette tournure de phrase irlandaise[1].

« Les maîtres, vous le voyez, sont parfaitement sûrs d’avoir raison en agissant comme ils

  1. Les contradictions verbales, appelées Irish bulls, ont été longtemps un charmant défaut des anciens Irlandais.