Page:London - Le Tourbillon, trad Postif, 1926.djvu/24

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bien modelée, dont les lèvres rouges s’ouvraient franchement sur les dents d’une rare blancheur. Un enfant, un grand garçon d’homme, pensa-t-elle ; et tandis qu’ils se souriaient en se lâchant les mains, elle fut surprise du reflet cendré de sa chevelure courte et frisée, qui paraissait de l’or le plus pâle, bien qu’elle fût en réalité d’un blond de lin.

Il était tellement blond qu’il lui rappelait certains personnages typiques qu’elle avait vus à la scène, tels que Ole Olson et Yon Yonson ; mais là s’arrêtait la ressemblance. Ça n’était qu’une affaire de nuances ; il avait les cils et les sourcils noirs, et ses yeux étaient plutôt approfondis par sa force de caractère qu’agrandis par un émerveillement enfantin. Son vêtement de drap brun uni avait été coupé par un tailleur ; Saxonne l’avait apprécié du premier coup d’œil, il ne devait pas coûter moins de cinquante dollars. En outre, l’homme n’avait rien de la gaucherie des émigrants scandinaves. Au contraire, il était l’un de ces rares individus dont la beauté musculaire s’affirme malgré les disgracieux vêtements de la civilisation. Tous ses mouvements étaient souples, lents et apparemment réfléchis. Mais Saxonne ne poussait pas l’analyse à ce point. Elle voyait seulement un homme endimanché, possédant de la grâce dans l’attitude et les mouvements. Elle sentait, plutôt qu’elle ne percevait, la calme assurance du jeu de tous ses muscles, comme une promesse d’allégement et de répit particulièrement agréable et bienvenue pour une femme qui pendant six longues journées, sans relâche, et à toute vitesse, a repassé du linge fin. Sa main lui avait paru douce, et elle trouvait également doux le contact plus subtil de tout son être, corps et âme.

Quand il prit son carnet de bal et se mit à la taquiner en plaisantant à la manière des jeunes gens, elle comprit la soudaineté de l’intérêt qu’il lui avait inspiré. Jamais de sa vie aucun homme ne lui avait tant plu. Elle se demanda si c’était celui-là qui lui était destiné.