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LE VAGABOND DES ÉTOILES

vécu, petit gamin, dans un pays plus souriant, au bord d’une rivière, aux berges plantées d’arbres. Et, tandis que se cahotait le chariot sur la route interminable et poudreuse, tandis que je me balançais sur le siège, à côté de mon père, mon esprit retournait en arrière vers cette eau délectable qui coulait sous les arbres verts. Mais tout cela était loin, très loin, et il semblait que depuis très longtemps déjà je vivais dans le chariot.

Dominant toutes ces impressions, pesait sur moi, comme sur tous mes compagnons, celle d’aller à la dérive, aveuglément poussé par le Destin. Nous paraissions tous suivre quelque funéraille. Pas un rire ne s’élevait. Pas une intonation joyeuse ne venait frapper mon oreille. La paix et la tranquillité de l’esprit ne marchaient pas avec nous. Toutes les faces reflétaient tristesse et désespérance.

Pendant que nous cheminions au rouge soleil couchant, dans la poussière terne, vainement mes yeux d’enfant fouillaient ceux de mon père, afin d’y découvrir le moindre message de joie. Ses traits poussiéreux étaient bourrus et renfrognés, et ne reflétaient qu’anxiété, une immense et insondable anxiété.

Un frisson, soudain, parut courir tout le long de la caravane.

Mon père leva la tête. Moi aussi. Nos chevaux en firent autant, dressant leurs têtes lasses et courbées. Ils humèrent l’air de leurs naseaux, en longs reniflements, et se prirent à tirer avec ardeur. Les bœufs dételés, qui allaient en traînant la patte, partirent au triple galop. Les pauvres bêtes en devenaient presque risibles, dans leur maladresse hâtive et dans leur faiblesse. Elles galopaient comme elles pouvaient, squelettes drapés dans une peau galeuse, et elles firent si bien qu’elles dépassèrent bientôt le reste de la caravane. Mais cet accès ne dura pas longtemps. Elles ne purent soutenir leur course et se remirent à tirer la patte, bien péniblement, avec impatience pourtant, sans plus se