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Page:London - Le Vagabond des étoiles.djvu/113

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LA CARAVANE VERS L’OUEST

— Je vous enverrai du plomb plein le corps, à coups de fusil, damné Mormon !

L’étranger ne parut pas le moins du monde démonté par ma colère et mes cris. Alors que je ne le quittais pas des yeux, prêt à une attaque violente et terrible de sa part, il m’examinait silencieux avec la plus profonde gravité.

Il se décida enfin à parler, sur un ton solennel et en hochant la tête, comme un juge dans un tribunal :

— Tels pères, tels fils ! Les générations nouvelles ne valent pas mieux que les anciennes. Toute la race est dégénérée et damnée ! Il n’y a pas pour elle de rédemption possible, pas d’expiation suffisante. Le sang même du Christ serait impuissant à laver ses iniquités.

Quant à moi, je ne sus que crier dans mes sanglots :

— Damné Mormon ! Damné Mormon ! Damné Mormon ! Damné Mormon !

Et je continuai à maudire l’intrus, en sautant autour du feu, devant la main menaçante de ma mère, jusqu’à ce qu’il se fût éloigné à grands pas.

Lorsque mon père revint avec ceux qui l’avaient accompagné, le travail du camp avait pris fin. Tout le monde se pressa, anxieux, autour de lui.

Il hocha la tête, d’un air qui ne présageait rien de bon.

— Ils ne veulent rien vendre ? interrogea une femme.

Il secoua la tête à nouveau et ne répondit pas.

Un des hommes éleva la voix. Il était âgé de trente ans. C’était un géant, aux favoris blonds et aux yeux bleus, et il s’était frayé un chemin au milieu de la foule.

— Ils affirment, déclara-t-il, avoir de la farine et des provisions de bouche pour trois ans. Jusqu’ici ils avaient toujours vendu aux émigrants. Et maintenant ils refusent. Non pas à nous personnellement, mais d’une façon générale. Ils ont, parait-il, des démêlés avec le gouvernement, et c’est leur façon de traduire leur mécontentement. Nous payons les pots cassés. Ce n’est pas juste, capitaine ! Non, ce n’est pas juste, car nous avons des femmes et des