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DES TAPOTEMENTS DANS LA NUIT

J’ai toujours été, dans ma vie, ce qu’on appelle un « petit dormeur » et mon cerveau est sans cesse en travail. Dans une cellule, on se dégoûte rapidement de penser, et le seul moyen d’échapper à sa pensée est de dormir. En temps normal, je dormais seulement une moyenne de cinq heures par nuit. Alors j’entrepris de cultiver le sommeil. De cela je fis une science. Je réussis à dormir dix heures, sur vingt-quatre, puis douze heures, et jusqu’à quatorze ou quinze heures. C’est la dernière limite à laquelle je pus arriver. Au delà, force me fut de rester éveillé et, naturellement, de penser. À ce régime, un cerveau actif ne tarde pas à se détraquer.

Je cherchai toutes sortes de stratagèmes qui me permettraient, par un moyen mécanique quelconque, de supporter mes heures de veille. Je m’imaginai de résoudre de tête les racines carrées et les racines cubiques d’une longue série de nombres donnés, et, par une concentration tenace de ma volonté, je menai à bien les problèmes géométriques les plus compliqués.

Je m’occupai même, après tant d’autres choses, de trouver la quadrature du cercle. Je me butai à cette tâche, jusqu’à ce que le problème m’apparût, à moi aussi, insoluble. Je compris qu’en m’obstinant davantage à cette vaine poursuite, je trouverais le chemin de la folie. Je renonçai donc à m’intéresser à cette quadrature mystérieuse. Ce fut pour moi un énorme sacrifice, car l’effort mental que représentait cette recherche était un admirable tueur de temps.

J’eus recours à d’autres exercices. C’est ainsi que je me créai, sous mes paupières, la vision artificielle d’un damier, sur lequel j’entrepris, en jouant double, d’interminables parties d’échecs. Mais une fois que je fus devenu expert à ce dressage fictif de mes yeux, ce jeu me parut insipide. Il ne pouvait y avoir, dans les parties, de réel conflit, puisque c’était, en fait, le même partenaire qui jouait dans les deux camps. Je tentai en vain de scinder ma personnalité en deux moitiés, qui s’oppo-