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Page:London - Romans maritimes et exotiques (extrait L’Enfant des eaux), 1985.djvu/7

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L’ENFANT DES EAUX[1]


J’écoutais d’une oreille excédée la mélopée interminable du vieux Kohokumu : il célébrait les hauts faits et les aventures de Maui, le demi-dieu, le Prométhée de la Polynésie, qui pécha la terre ferme du fond des océans au moyen d’hameçons attachés dans l’espace, souleva ensuite le firmament au-dessus de cette terre sur laquelle les hommes devaient marcher à quatre pattes faute de la hauteur suffisante pour s’y tenir debout, força le soleil à s’arrêter en prenant au lacet ses seize pattes et enfin l’amena à parcourir son orbe plus lentement : le soleil évidemment syndiqué croyait en la journée de six heures, tandis que Maui tenait au régime des douze heures de travail.

— Voici exactement les paroles du mêle (chant de louange) de la reine Lililuokalani, ajouta Kohokumu :

Maui s’agita et combattit le soleil
Avec un nœud coulant qu’il lui lança
Et l’hiver vainquit le soleil
Et l’été fut vaincu par Maui…

Né moi-même dans les îles, je connaissais les mythes d’Hawaï mieux que le vieux pêcheur, mais je ne possédais pas cette belle mémoire qui lui permettait de les débiter pendant des heures entières.

— Et tu crois tout cela ? lui demandai-je dans la douce langue d’Hawaï.

— Ces choses se passaient il y a très longtemps, dit-il d’un air pensif. Je n’ai pas vu Maui de mes propres yeux, mais depuis des siècles nos vieillards nous l’ont raconté et moi, qui suis vieux à présent, je le raconte à mes fils et à mes petits-fils qui le transmettront à leurs descendants jusqu’à la fin des siècles.

— Alors, insistai-je, tu crois à ces balivernes ? Tu crois que Maui a

  1. Titre original : The Water Baby.