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L’Infant, à part.

Je commence à désespérer.

La Duchesse.

Vous voulez donc que je lui parle ?

Le Comte.

Il le faut, madame. (Il va vers l’infant.) Arrivez, Pascal. Vive Dieu ! j’ai négocié cette affaire pour vous aussi bien que si c’eût été pour moi.

L’Infant suit le Comte dans le jardin.
L’Infant.

Me reconnaissez-vous, belle Celia ?

La Duchesse.

Vous triomphez sans doute, prince déraisonnable, d’avoir imaginé cette ruse déloyale pour venir surprendre une femme qui vit retirée chez elle. Vous ne considérez pas que si l’on vous rencontrait ici déguisé de la sorte, vous pourriez me compromettre aux yeux du monde, bien que nous ne soyons rien l’un à l’autre. Il serait temps cependant de renoncer à ces folies de jeunesse.

L’Infant.

Vous me parlez raison quand vous voyez que pour vous j’ai perdu l’esprit. Oui, je le confesse, je suis devenu fou, grâce à vos mépris obstinés et à la peine qu’ils me causent. Mais vous-même qui rappelez si bien les autres à la raison, qu’avez-vous fait de la vôtre ? Qu’espérez-vous encore après la mort du comte ? Pourquoi ne pas oublier enfin celui que la terre garde enseveli ? Pensez-vous le ressusciter par vos regrets, par vos pleurs et votre deuil ? Songez-y bien, Celia, jamais vous ne le reverrez.

La Duchesse.

Vous vous trompez, prince ; je le vois, je le vois devant moi vivant. Prospero, Prospero que j’aime, — en ce moment même où je vous parle, il est devant vos yeux.

L’Infant.

Cœur sans pitié ! qui êtes toute de feu pour un autre et toute de glace pour moi, — quoi ! vous me détestez encore à présent que le comte est mort ?

La Duchesse.

Il est vivant et devant moi, vous dis-je ; et peut-être qu’il me reproche de vous avoir parlé si longtemps.

Le Comte.

Eh bien ! prince, cela ne vous décourage pas ?

L’Infant.

Hélas ! je suis engagé dans un chemin funeste. Ô mort ! que ne me délivres-tu de ce tourment ?

Le Comte.

Allons, madame not’ maîtresse, soyez moins farouche, pour Dieu ! et daignez aimer un homme qui vous aime.