Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
LE CHIEN DU JARDINIER.

davantage : les paniers de fruitières, les vieilles malles, les porte-manteaux des messagers ; si bien que mon amour et mes espérances se changèrent en dédain, et que bientôt il ne me resta rien de ma maîtresse dans l’esprit, toute volumineuse qu’elle était.

Théodore.

Il n’y a point de défauts en Marcelle, et je ne réussirai jamais à l’oublier.

Tristan.

Eh bien ! poursuivez votre folle entreprise, et n’accusez que vous de tout ce qui arrivera.

Théodore.

Elle a tant de grâces ! que puis-je faire ?

Tristan.

Y penser si bien que vous perdiez les bonnes grâces de la comtesse[1].


Entre LA COMTESSE.
La Comtesse.

Théodore !

Théodore.

C’est elle-même.

La Comtesse.

Écoutez, je vous prie.

Théodore.

Vous n’avez qu’à ordonner, madame.

Tristan, à part.

Si elle vient à savoir la vérité, nous sommes trois qui décampons en même temps.

La Comtesse.

Une de mes amies qui ne s’en rapporte pas à elle-même m’a priée d’écrire pour elle ce billet. Forcée par l’amitié à lui complaire, mais n’entendant rien aux choses d’amour, je vous l’apporte, persuadée que vous vous en tirerez mieux que moi. Prenez et lisez.

Théodore.

Qui ! moi, madame, refaire un billet que vous avez écrit !… ma prétention ne va pas jusque-là. Je n’ai pas besoin de le voir ; envoyezle tel qu’il est.

La Comtesse.

Lisez, lisez.

Théodore.

Je suis étonné de cette défiance de vous-même. Mais je lirai, madame, pour apprendre un style que je ne connais pas, étant tout à fait étranger à l’amour.

La Comtesse.

Vraiment ! vous n’avez jamais aimé ?

Théodore.

Non, madame, la connaissance de mes défauts m’a retenu. Je n’ai aucune confiance en moi.

  1. Ce jeu de mot se trouve dans l’original.