Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 1.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle désire lui soumettre un projet sérieux… elle voudrait se marier… et celui qu’elle a choisi est tout ce qu’il y a jamais eu parmi les hommes de plus noble, de plus charmant, de plus aimable. Ce fiancé, cet époux, c’était le Christ ! Lope essaye vainement de changer ses résolutions ; elle demeure inébranlable et prononce ses vœux. Quelle lutte s’établit dans le cœur de Lope entre la religion et l’amour paternel, vous le devinez. Elle, qu’il couvrait d’or et de soie, elle porte une robe d’une étoffe grossière ! elle, si délicate, elle dort sur la dure ! Que de regrets, que de douleurs pour celui qui aimait Marcela et prenait soin d’elle plutôt encore comme un amant que comme un père (mas galan que padre[1]) !

Cependant, malgré la sévérité de la règle, toute communication ne fut pas abolie entre Lope et Marcela. D’ailleurs, chaque semaine, à un jour fixé, il venait célébrer la messe à la chapelle des Carmélites. Durant le saint sacrifice, il y avait sans doute entre ces deux âmes, — l’une si grande et si belle malgré ses faiblesses, l’autre toute pure et toute céleste, — un mystérieux échange d’indicibles sentiments, et peut-être toutes deux éprouvaient-elles, quoique pour des motifs bien différents et avec des nuances diverses, les sublimes douceurs d’une expiation.

L’année suivante, Lope vit également s’éloigner le jeune Lope, son second fils, qui avait remplacé Carlos dans ses affections. Ce jeune homme avait, à ce qu’il paraît, des dispositions pour la poésie ; mais Lope s’efforça de l’en détourner. En lui dédiant la pastorale de Jacinto, la première pièce qu’il eût faite, il lui disait : « Si le malheur ou vos dispositions naturelles voulaient que vous fissiez des vers (ce dont Dieu vous préserve !), que du moins la poésie ne soit pas votre unique occupation… S’il m’est permis de me citer en exemple, alors même que vous vivriez beaucoup d’années, vous rendrez difficilement à votre patrie autant de services que moi. Cependant quelle a été ma récompense ? Une maison fort modeste, une table à l’avenant, et un petit jardin dont la culture est ma seule distraction… La gloire, dites-vous, me dédommagera ! Ne le croyez point ; rappelez-vous cet emblème adopté par un savant de notre temps, et consistant en un miroir sus-

  1. Épître à don Francisco de Herrera.