quante tercets ; ensuite, après avoir déjeuné de friture, je suis venu arroser mon jardin. Mais je vous avoue que je commence à être fatigué. » Vous remarquerez, je vous prie, que Lope de Vega avait alors près de soixante-dix ans. Sans cela il ne se serait pas trouvé fatigué pour si peu.
Une telle facilité explique comment il a pu, dans un espace de quarante années, composer quinze cents pièces, et comment sur ce nombre il en a composé plus de cent en vingt-quatre heures. Il n’y a point de doute à élever sur ces chiffres. Lope de Vega les a lui-même précisés dans une pièce de vers adressée à Claudio Conde, cet ami généreux de sa jeunesse persécutée, qu’on retrouve avec plaisir l’ami préféré de sa glorieuse vieillesse.
En récompense de ces immenses travaux, Lope vieillissant était comblé d’honneurs. L’inquisition l’avait nommé le chef de ses familiers. En 1628, le pape Urbain VIII lui avait écrit de sa propre main, en le nommant chevalier de Malte et docteur en théologie. Le roi et la reine d’Espagne, quand ils le rencontraient sur leur passage, faisaient arrêter leur carrosse pour mieux contempler l’illustre vieillard. Mais ce qui ne devait pas moins flatter Lope, c’était la popularité dont il jouissait. Son portrait se trouvait dans toutes les maisons. Son nom était devenu un éloge : pour dire d’une chose qu’elle était belle, rare, curieuse, on disait proverbialement qu’elle était de Lope (es de Lope). Enfin, chaque fois qu’il paraissait dans les rues de Madrid, aussitôt les fenêtres, les balcons, les portes s’emplissaient de gens qui cherchaient à le voir. Femmes, enfants, vieillards, se le désignaient l’un à l’autre avec amour et fierté. Tous l’entouraient, le bénissaient comme le poëte de l’Espagne, le poëte qui avait par ses ouvrages agrandi et assuré la gloire nationale.
D’une complexion saine et vigoureuse, et ayant l’habitude de faire beaucoup d’exercice, Lope parvint, exempt d’infirmités, jusqu’à un âge assez avancé. Mais au commencement de l’année 1635, il éprouva deux chagrins très-vifs, dont un seul, dit Montalvan, sans s’expliquer d’ailleurs à cet égard, eût suffi pour abattre le plus grand courage. Dès lors, il fut en proie à une profonde mélancolie.
Le 6 d’août, ayant dîné avec Montalvan et un ami com-