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Colomb.

Ô mon frère ! je vois d’ici la mer frémir, comme si elle devinait mon dessein !

Ils sortent.



Scène II.

À Grenade, dans le palais.


Entrent MAHOMET, jeune roi de Grenade, DALIFA, deux Musiciens, et Cortége.
Mahomet.

Ici, charmante Dalifa, tu pourras mieux respirer la fraîcheur de l’air.

Dalifa.

C’est un faible soulagement contre le feu d’amour qui me consume, quoique, par la respiration, l’air qui court en ce bocage doive arriver jusqu’à mon cœur.

Mahomet.

Je suis trop heureux si c’est pour moi que ton cœur est ainsi enflammé. Oh ! répète-moi ces douces paroles qui ont tant de charme à mon oreille… Quant à moi, l’air est impuissant à rafraîchir mon sein, et mes soupirs sont des soupirs de feu.

Dalifa.

Les soucis de la guerre vous détournent de l’amour, et vous n’êtes plus le même depuis que le roi Ferdinand, avec ses chrétiens, occupe ce pays.

Mahomet.

Ne le crois pas, Dalifa… Et cependant qu’y aurait-il d’étonnant à ce que le dieu Mars fût plus fort que l’Amour, quoiqu’on prétende qu’un jour, à Chypre, Vénus elle-même vainquit ce dieu puissant ? — Mais, pour parler sérieusement, bien que le roi chrétien me veuille enlever Grenade, je ne redoute point les efforts de son bras, et je suis sans inquiétude… Toutefois, je l’avoue, si mon oncle révolté ne se fût point emparé de l’Alhambra, et qu’il n’y eût dans cette ville qu’un seul chef, un seul roi, il serait plus facile de la défendre. Les divisions de ce malheureux royaume pourront bien finir par lui être fatales. Je n’ai plus sous mes ordres que l’Albaycin, et un si petit nombre de serviteurs fidèles, qu’il leur sera difficile d’empêcher ma ruine. Cependant jusqu’ici le roi Ferdinand n’a pas pu réussir à vaincre mes cavaliers, qui vont tous les jours courant la Vega[1] et lui causant de grands dommages.

Dalifa.

Qu’Allah veille sur votre jeunesse et augmente votre puissance !

  1. Le mot espagnol vega veut dire plaine. Ici il sert à désigner spécialement la plaine de Grenade. Voyez Le dernier Abencerrage, de M. de Chateaubriand.