Dans son Nouvel art dramatique, Lope, parlant de sa théorie, se donne l’épithète de barbare, et s’accuse d’avoir composé contre les règles pour plaire à un grossier public[1]. Tous les critiques ont pris ces paroles au sérieux. Un seul, Bouterweck, ne s’y est pas trompé : il a reconnu que Lope plaisantait, et qu’en faisant semblant de se moquer de lui-même, il s’était moqué de ses détracteurs. Là est la vérité. Remarquez, en effet, comme Lope s’exprime à la fin de ce même poëme : « Voilà ce que vous pouvez regarder comme des aphorismes, vous qui ne vous préoccupez point des préceptes de l’art ancien. » Ailleurs, dans l’Églogue à Claudio, il dit avec une sorte d’orgueil : « C’est à moi que l’Espagne doit son art dramatique, bien que je n’aie point suivi les règles sévères de Térence, etc., etc. » Et dans une préface qu’il écrivit en 1635, l’année même de sa mort, il disait d’une de ses pièces[2] : « Elle est écrite dans le système espagnol, et non selon les règles sévères de l’antiquité grecque et latine ; car le goût peut changer les règles, comme la mode change les habits, et le temps les coutumes. » On pourrait multiplier les citations ; mais cela ne suffit-il pas pour montrer que Lope croyait à sa théorie ? Et puis, comment admettre qu’un poëte ayant le moindre respect pour l’art et pour lui-même eût composé quinze cents ouvrages dans un système qu’il eût jugé contraire à la raison et au bon sens[3] ?
Seulement, il faut l’avouer, une autre pensée se joignit au sentiment de son droit pour déterminer Lope. « Jamais, a-t-il écrit, jamais imitateur n’égala son modèle. Le génie ne doit obéir qu’à ses propres lois, et la gloire n’appartient
- ↑ Voyez à la suite de cette notice la traduction du Nouvel art dramatique.
- ↑ El castigo sin venganza (le Châtiment sans vengeance).
- ↑ Dans un passage d’un ouvrage fort curieux et fort peu connu intitulé los Cigarrales de Toledo (les Vergers de Tolède), Tirso de Molina, le premier auteur du Don Juan, s’applique à démontrer l’excellence de la comédie nouvelle fondée par Lope de Vega, qu’il appelle le phénix de l’Espagne, la gloire et l’honneur du Mançanarès ; puis il ajoute : « Il a dit, il est vrai, en plusieurs endroits de ses écrits, que s’il n’a pas travaillé selon l’art antique, ç’a été pour se conformer au goût déréglé du peuple : mais c’est par modestie qu’il a parlé ainsi, et afin de ne pas être accusé d’orgueil par l’ignorance envieuse, etc. » Tirso de Molina écrivait cela du vivant de Lope, avec qui il était fort lié. —
Voyez Cigarrales de Toledo compuestos por el maestro Tirso de Molina, natural de Madrid. Madrid, 1630, in-4o, page 69.