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Lope, dans son Nouvel art dramatique, recommande au poëte d’embellir de quelque sentence ingénieuse ou de quelque mot spirituel la fin de chaque acte, et il a mis scrupuleusement son précepte en pratique. La plaisanterie que je viens de citer termine le second acte du Mejor alcalde.

Pour le sentiment de l’effet théâtral, je ne sache pas un poëte qui ait eu au même degré des imaginations tout à la fois dramatiques et poétiques. Ici je citerai un exemple seulement pour faire comprendre ma pensée.

Dans une de ses pièces les plus curieuses[1], Lope suppose que les juifs d’Espagne, irrités contre l’inquisition et voulant tirer vengeance des chrétiens, ont résolu d’égorger le plus pieux de tous les enfants espagnols. La victime choisie est le petit Juanico, enfant charmant et d’une piété céleste. Or, au jour fixé pour l’exécution de cet horrible crime, qui est précisément le jour de l’Assomption, Juanico, conduit par sa mère, va voir passer la procession ; et tandis qu’elle s’écoule devant eux, le pauvre enfant, apercevant la bannière sur laquelle Marie est représentée dans sa gloire au milieu d’un chœur d’anges, l’indique avec enthousiasme à sa mère en ajoutant : « Oh ! je voudrais être un des anges qui entourent la Vierge ! »

Je trouve dans la même pièce un trait plus beau encore peut-être, et je ne puis résister au désir de le citer. On me le pardonnera, j’espère. — Au milieu de la confusion qui accompagne nécessairement une cérémonie comme celle qu’est allé voir Juanico, le pauvre enfant a été enlevé à sa mère. Celle-ci, éperdue, demande à tous ceux qu’elle rencontre son enfant chéri. Personne ne l’a vu. À la fin, la malheureuse mère entre dans l’église, et, suivant une croyance espagnole, elle fait dire par un pauvre vieil aveugle l’Oraison de l’enfant perdu. L’aveugle récite l’oraison. Mais à peine a-t-il achevé qu’une voix s’élève au fond de l’église, qui chante ce fragment d’un cantique :

Que celui qui a perdu se console,
Car tout ce que l’on perd sur la terre
Se retrouve dans le ciel.

  1. El Niño inocente de la Guardia (l’Enfant innocent de la Guardia). Nous nous proposons de la traduire.