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certes, plus effrayée alors même que je verrais mille glaives prêts à me frapper.

Le Comte.

D’après ce que vous dites, je comprends que vous connaissez toute l’aventure. Et cela est juste ; vous ne deviez pas l’ignorer,

La Duchesse.

Qu’avez-vous fait ?

Le Comte.

Je n’ai pu me contenir ; j’ai cédé à la colère et à l’honneur.

La Duchesse.

Dites plutôt à une vaine fierté, plus forte chez vous que l’amour. Vous aviez donc oublié votre raison ?

Le Comte.

Hélas ! oui, je le confesse ; car, pour vous, je devais tout souffrir, je devais supporter patiemment toutes les injures, d’autant qu’elles ne m’atteignaient pas, tombées d’une bouche royale[1]. Mais je n’ai pas eu le temps de réfléchir, et j’ai obéi aveuglément à mon honneur.

La Duchesse.

Et maintenant que vous m’avez perdue, insensé, comment risquez-vous de vous perdre vous-même en venant me voir après avoir offensé le fils du roi ? À peine s’il me quittait quand vous êtes arrivé.

Le Comte.

Je suis mieux en sûreté contre lui en un lieu où je lui ai manqué. Il pensera que j’ai pris déjà la fuite ; car le coupable ne se présente jamais là où il a commis le crime.

La Duchesse.

Dans quel but venez-vous alors ? quel est votre dessein ?

Le Comte.

De mourir.

La Duchesse.

Oh ! ne parlez pas ainsi.

Le Comte.

Qu’ai je encore à regretter, puisque vous m’ordonnez de partir ? Qui m’attache à la vie si je vous perds ?

La Duchesse.

Ne songez-vous donc pas, méchant que vous êtes, que votre persistance me tue ? Fuyez, Prospero ; qu’attendez-vous ?

Le Comte.

Votre seule considération pouvait me décider à la fuite. C’est vous qui m’ôtez tout le courage, c’est vous qui faites de moi un homme faible et lâche. Je ne crains pas la mort, mais je vous aime. — Où

  1. Pues un rey no me agraviaba.

    Prospero veut dire par là que les princes du sang royal sont placés tellement au-dessus des gentilsshommes, que leur conduite à l’égard de ces derniers ne peut jamais être une offense. Cette pensée, d’ailleurs fort subtile, était devenue éminemment espagnole sous Philippe II.