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secrets de Dieu, qui se vantent de savoir l’avenir, tandis que bien souvent ils ne connaissent rien de rien au présent. Est-ce qu’ils ont par hasard les nuages dans leurs maisons pour en disposer ? Est-ce qu’ils savent quelle est l’influence des astres, pour venir nous ennuyer de leurs sornettes ? Ils nous indiquent quand et comment il faut semer ; tantôt le blé, tantôt l’orge ou les légumes ; tantôt les melons, la moutarde ou les citrouilles. Eh bien ! voulez-vous que je vous dise ? les vraies citrouilles ce sont eux… Puis, ils vous racontent qu’il mourra dans l’année un haut et puissant personnage, et il se trouve que c’est un prince de Transylvanie. Ils vous annoncent qu’il y aura beaucoup de bière en Allemagne, que les cerises gèleront dans un canton de la Gascogne, que les forêts de l’Hyrcanie nourriront des tigres : et au bout du compte, qu’on les écoute ou non, l’année finit toujours à la fin de décembre.


Entrent LÉONEL et BARRILDO.
Léonel.

Ma foi ! vous n’aurez pas le premier prix ; car il y a déjà du monde à la mensongerie[1].

Barrildo.

Comment vous êtes-vous trouvé à Salamanque ?

Léonel.

Cela serait long à conter.

Barrildo.

Vous serez un Barthole.

Léonel.

Pas même un barbier. On sait assez comment vont les études dans cette université[2].

Barrildo.

Vous n’en avez pas moins bien travaillé.

Léonel.

J’ai tâché d’acquérir les connaissances les plus importantes.

Barrildo.

Depuis que l’on voit imprimer tant de livres, il n’est plus personne qui n’ait des prétentions à être savant.

Léonel.

Et moi je pense que jamais on n’a été plus ignorant ; car la quantité d’objets étant trop considérable, l’esprit ne peut se concentrer, les idées se confondent ; celui qui est le plus accoutumé à lire est épouvanté rien qu’en parcourant les titres des ouvrages, et les efforts des lettrés n’aboutissent le plus souvent qu’à un vain étalage. — Ce n’est pas que l’art de l’imprimerie n’ait tiré une foule de génies de l’enfance où ils étaient sans lui destinés à languir ; ce n’est

  1. On appelle en Espagne el mentidero (la mensongerie) l’endroit où se débitent les nouvelles. C’est d’ordinaire la place publique, devant l’église.
  2. Lope de Vega avait étudié à Alcala.