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Camilo.

Voilà bien une réponse digne de l’amour qui l’inspire.

Albano.

Mais, vous-même, comment entendez-vous l’amour, je vous prie ? Pour moi, l’avouerai-je ? Platon m’a toujours fait pitié avec ses aphorismes et ses préceptes. Je voudrais observer un peu de près ses partisans, qui parlent sans cesse de l’amour idéal ou platonique. Ils disent que c’est la pensée qui aime, qu’il faut seulement aimer l’âme, que l’amour est un chaste feu qui purifie les sentiments : voilà ce qu’ils disent, et cela n’empêche pas qu’ils ne célèbrent en secret leur minuit à l’espagnole[1]. Il n’y a point d’homme parfait ; mais les uns s’abandonnent à leurs penchants sans raison et sans règle, et les autres suivent les leurs avec esprit. Si l’amour est un plaisir, celui que j’éprouve est légitime. Permis à vous de chercher des conquêtes difficiles ; mais laissez-moi n’en souhaiter que d’agréables.

Camilo.

C’est sur les nobles vertus et sur les belles qualités que l’amour se fonde, Albano, et non pas sur le libertinage. Or, il n’y a pas dans toute la Sicile, et, à plus forte raison, dans tout Palerme, où nous sommes, une femme au-dessous de celle-là. Interrogez ceux qui se promènent sur le port, informez-vous d’elle dans la ville ou dans la campagne, et l’on vous racontera ses artifices plus nombreux que les grains de sable de la mer.

Albano.

Cette même liberté de vie qui vous choque en elle est précisément ce qui m’a charmé et subjugué. Qu’un autre aime une femme qui lui sera dévouée à lui seul, et chez qui tout l’or du Pérou ne pourra pas même inspirer une pensée infidèle : quant à moi, il me faut dans l’amour des ruses, des caprices et des trahisons.

Camilo.

En ce cas, suivez votre penchant. Si l’amour est tel que vous le comprenez, aimez, aimez Phénice.

Albano.

Aussi je l’aime, et je ne puis aimer qu’elle.


Entrent PHÉNICE et CÉLIA, couvertes de leurs mantes.
Célia.

Je suis encore étonnée et confuse de votre venue ici. Je ne l’aurais pas cru de vous, Phénice.

Phénice.

Il paraît, Célia, que tu oublies volontiers la condition de ta maîtresse.

Célia.

Comme vous n’êtes pas marchand, je ne sais ce que vous avez à

  1. Hazen su media noche à la española.

    Media noche, c’est le repas de minuit.