Page:Lope de Vega - Théâtre traduction Damas-Hinard tome 2.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chacon.

Vous avez bien mauvaise opinion de moi.

Le Vingt-quatre.

Je te regarde comme le plus méchant garnement que l’on ait coiffé d’une mitre[1].

Don Juan.

Mon père, ma conduite ne donne pas lieu…

Le Vingt-quatre.

Je la connais.

Don Juan.

Puisque vous la connaissez si bien, mon père, vous devez savoir qu’elle est excellente.

Le Vingt-quatre.

Admirable ! parfaite ! — Je sais où vous allez.

Don Juan.

Je puis vous avouer toutes mes démarches.

Le Vingt-quatre.

En effet, vous ne sortez que pour aller dévotement à l’église.

Don Juan.

Non, mon père ; mais daignez vous informer ; demandez si l’on me voit jamais au jeu ou dans des lieux suspects. Je ne vais que dans une certaine rue où demeure une femme que j’aime avec les intentions les plus pures.

Chacon.

Bien répondu.

Le Vingt-quatre.

À merveille !

Chacon.

Sans doute. Mon maître voulait saintement épouser une femme de mérite : y a-t-il là de quoi effaroucher un bon chrétien ?

Le Vingt-quatre.

Une femme belle, pauvre, et bel esprit ? Non, jamais. Tant que je vivrai cela ne se fera pas.

Don Juan.

Eh ! que faut il que j’attende encore ? Que voulez-vous de plus, mon père ? Suis-je une fille pour languir l’aiguille à la main jusqu’à ce qu’il vous plaise de me marier ? — Aimeriez-vous mieux que je fusse un libertin dépensant votre argent avec des femmes galantes ? un querelleur, tuant à droite et à gauche les fils de famille, et obligé de me réfugier à chaque instant dans quelque asile sacré ? un dissipateur empruntant de tous côtés à gros intérêts, et signant des billets payables au jour de votre mort ?… Oh ! alors, sans doute, je serais digne de vos caresses, de votre amour paternel !

  1. En Espagne, au dix-septième siècle, on coiffait d’une mitre les hérétiques condamnés au feu par l’inquisition.