Le lion farouche dont une épine cruelle a traversé le pied le donne à guérir à un esclave plein d’humanité ; et plus tard, retrouvant dans l’amphithéâtre de Rome son sauveur qu’on envoyait à la mort, il se couche humblement devant lui, et lèche sa main bienfaisante. Si un animal féroce s’est ainsi rappelé le bien qu’il avait reçu, quel homme pourrait l’oublier ? Si un animal féroce a montré tant de reconnaissance, quelle horreur ne doit pas inspirer un ingrat[1] ?
Depuis que vous vous êtes ainsi lié avec le fils du corrégidor, il me semble, seigneur don Juan, que vous êtes de meilleure humeur. — Eh bien, quoi de nouveau ? que devient cette vieille espiègle qui s’amuse à vous monter la tête avec son prétendu portrait ?
Ce portrait, qui seul prouve que je ne m’abuse pas, et que c’est toi qui es dans l’erreur, — ce portrait annonce une personne de quinze ou seize ans.
S’il en est ainsi, — bien que j’aie ouï dire que les jeunes filles de cet âge exhalaient un parfum tout particulier[2], la voilà à la saison des amours, et elle ne doit pas être la femme de votre ami don Fernand ; car à quinze ans elle ne serait point mariée et libre.
Je ne sais… mais je me meurs.
Quelle folie !… Peut-on aimer un objet qu’on n’a point vu !
J’y périrai, te dis-je.
C’est la première fois qu’on voit — Aimer sans savoir qui.
Elle m’écrit dans le même sens.
Combien de lettres avez-vous déjà reçues d’elle ?
Une vingtaine.
Et toujours elle s’obstine à ne vous dire ni son nom ni son adresse ?