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— Quarante degrés, reprit le père Ménard, puis le vent qui ne tombe pas !…

— On est pourtant dans la pleine lune, releva quelqu’un.

La grosse lampe à pétrole faisait se tasser les ombres, dans les coins de la pièce ; et l’œil ardent de la porte du fourneau illuminait le dessous de la table, d’une lueur d’incendie.

Le père Ménard rompit encore le silence.

— Mets de l’eau dans le canard, sa mère, il se vide. La femme cette fois, remplit la bouilloire, jusqu’au faîte.

— Chauffe pas trop, son père, tu sais que la cheminée est sale ! Avec un vent de même…

À la façon dont l’homme prononça : — J’aime mieux mourir par le feu que par le froid, — l’assemblée comprit que le père allait raconter quelque chose : et chacun approcha, plus près de lui, sa chaise.

On bourra de nouveau les pipes, et les premières bouffées de fumée créèrent, instantanément l’atmosphère nécessaire au récit. C’est ainsi que l’auditoire a coutume de marquer son grand désir d’écouter. La voix du conteur, alors, monta lente et pleine ; et le père Ménard parla les yeux fixes, en homme qui ne cherche pas, par tous les coins de la pièce, où trouver ses mots.

« Vous n’avez pas connu, vous autres, Kenoche, le quêteux. Vous êtes trop jeunes. Il restait, à quatre arpents d’icitte, où Péloquin a bâti, aujourd’hui, son moulin.

Il faut croire, qu’il ne s’était pas arrangé, avec les autres quêteux de Sainte Julienne, et qu’il n’aimait pas leur compagnie, pour être venu rester avec sa femme et son petit enfant. Toujours est-il, que Péloquin lui avait loué, pour presque rien en toute, une vieille maison qu’on a démolie depuis.