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Page:Loranger - Le village, 1925.djvu/14

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Ici le père Ménard se tut, pour bourrer sa pipe et tirer une touche. Tout le monde en fit autant, vivement intéressé et les dimensions de la cuisine se perdirent dans ce regain de fumée.

Dehors, le vent hurlait toujours.

Après avoir poussé une nouvelle bûche dans le poêle, le père Ménard continua.

« Eh bien, qu’est-ce qui restait à faire, à un fou comme lui, dans ces conditions-là ? Pouvait-il consentir à mourir de faim comme un chien. Ça non, les enfants, un quêteux ne meurt jamais de faim ! C’est bon pour les braves gens.

Vous le devinez, hein ? C’est bien ça. Vous le voyez d’icitte, là, un bon matin, atteler sa pécouille, fermer la porte de sa maison comme il le faisait au printemps, et partir tout seul, pour aller quêter dans une petite tournée.

Sa femme, puis son enfant ? Sans avertir personne, il les a laissés seuls. Il n’était pas inquiet, le chrétien ; n’allait-il pas revenir, dans une semaine ? Sa femme avait, à la maison, juste de quoi pour l’attendre. Une semaine, c’est pas beaucoup, pour ramasser ce qu’il faut pour vivre en paix, en attendant le printemps. Mais, il comptait bien sur la pitié des autres villages. D’ailleurs, il était bien certain de ne pas avoir de concurrence. Pensez donc, un quêteux qui cogne chez vous, en plein janvier !

C’était plein de bon sens, tout ça, mais là, ousqu’il devenait un criminel de serpent, c’est que sa femme était malade, puis qu’il le savait. Ah, le bondieu d’homme !

Et le voilà donc parti.

Au bout de cinq jours, il s’est mis à tomber une bordée de neige, mes enfants, vous m’entendez, une neige qui était une vraie punition du Bon Dieu.

Je me rappelle encore, qu’au premier matin, chez mon vieux père, qu’on ne put pas arriver, en toute, à