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LA PARTIE DE DAMES



Jos. Tremblay, champion du comté aux dames, joue sa partie d’entrainement tous les dimanches après les vêpres, dans la boutique du cordonnier. Les spectateurs, groupés à quinze autour du damier, forment au milieu de la pièce un gros paquet d’hommes d’où monte, en énormes bouffées blanches, la fumée des pipes.

Blanchette est assis en face du champion. C’est lui qui pousse les rondelles noires, mais c’est toute l’assemblée à la fois que Tremblay rencontre, chacun étant autorisé à émettre des opinions sur la marche à suivre du jeu de Blanchette.

— Si tu mouves pas ta noire, Blanchette, i’va prendre ta dame par derrière.

— Ouais, i’a un jeu verrat, quand i’joue par derrière.

Tout cela grouille d’intérêt et les têtes ne se détournent du jeu que pour lancer à distance, de temps en temps, des crachats dans la direction d’un crachoir morveux posé sur une toile cirée, dans un coin.

Après les longues délibérations de tout le monde, quand Blanchette se décide, enfin, à pousser sa rondelle noire d’un carreau à un autre, du geste précis de celui qui représente à lui seul des opinions unanimes, Tremblay, jusque-là penché sur son damier, alors seulement lève un oeil interrogateur, avant de prendre l’attitude superbe de celui en lice contre quinze.

— C’est ben ça que tu voulais, Quesnel ?

— Ouais.