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Page:Lorrain, Jean - Sonyeuse, 1891.djvu/243

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CONTE D’UNE NUIT D’HIVER

À Octave Mirbeau.


Il avait taillé toute la nuit, et toute la nuit perdu avec la déveine d’un homme que la guigne noire pince et tenaille depuis six mois. Il était près de deux heures, et sur la place de la Concorde les fontaines, hérissées de stalactites avec leurs dieux marins figés dans du gel, dressaient autour des vasques muettes un Olympe de spectres et de figures enlinceulées, allégories brumeuses et glacées de l’hiver.

Comme il n’était pas sans littérature, il s’arrêta une minute pour regarder luire au clair de lune les torses des tritons et les seins bronzés des naïades : cuirassés de glace, dieux et déesses grimaçaient étrangement dans l’immensité de cette place déserte, sous ce ciel pâle de nuit d’hiver, et tels qu’ils étaient, encapuchonnés de cagoules sous les glaçons opaques et blancs qui leur voilaient la face, ils le