Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/141

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modeleur d’Anspach soutirant lentement l’âme et la vie de son modèle pour en animer sa cire peinte et, son chef-d’œuvre terminé, attendant la nuit close pour aller ensevelir un cadavre dans les fossés du rempart.

Ringel avait-il deviné ma pensée ? « La jolie tête, hein ? disait-il en me désignant la cire comme pétrie d’épouvante, c’est un petit Italien qui me l’a posée et les artistes d’aujourd’hui prétendent qu’il n’y a plus de modèles, ils ne savent pas voir. J’ai rencontré celui-là dans la rue, un soir de décembre, grelottant, hâve et mendiant presque. Il me prenait pour un agent et avait une peur…, c’est sa terreur que j’ai saisie, il était délicieux d’épouvante » — « Et qu’est-il devenu ? interrogeai-je un peu troublé.

— Bah ! est-ce qu’on sait ce qu’ils deviennent tous, quand ils posent trop jeunes et roulent, enfants, la misère à Paris ? Je crois qu’il est mort phtisique. » — « Vous en êtes certain ? » insistai-je. — « Oui, il est bien mort, le petit Antonio Monforti et à Beaujon, n’est-ce pas, Gormas ? » Et Gormas ayant fait signe que oui, j’entendis une voix qui me susurrait à l’oreille :

— « C’est cette cire-là qu’il faut avoir. »