Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/212

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Mais non, tu m’écris froidement : « Courage et continue, peut-être te guériras-tu de moi comme tu m’as guéri d’une autre ! » Tu en es à me reprocher la pitié que j’ai eue pour toi, car c’est par la pitié que tu m’as prise, tu le sais bien, à Aix, l’été dernier, vers cette époque même, quand je t’ai rencontré si désemparé, si triste, t’isolant de tout comme un sauvage et avec, dans tes grands yeux sombres, un regard à la fois si étrange et si tendre, un regard à la fois effaré, navré et suppliant, un regard d’enfant égaré ou de malade sans maison (le regard de malade sans maison n’est pas de moi, j’ai lu cela quelque part). Alors comme un gros sanglot m’a remuée tout entière et j’ai cru que mon sang se caillait à l’entour de mon cœur, et je t’ai aimé et avec toute ma chair et avec toute mon âme… et tu semblais m’aimer alors. Il y avait plus que de la reconnaissance dans tes étreintes d’abord emportées, si fougueuses (tu m’en faisais du mal presque) et puis si longuement pâmées, si fraternellement caressantes.

Tu ne m’as pas répondu pour Saint-Cloud. Seras-tu libre demain ? Viendras-tu ? Si trop occupé demain pour écrire, envoie-moi dimanche un télégramme, que je l’aie avant quatre