Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/236

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celui de deux roues criant sur le gravier de la route ; et apparaît, filant au trot au ras des avoines d’un champ, une petite charrette anglaise en bois de teck aux ferrures nickelées, luisantes comme des lames de rasoirs ; la charrette suit quelque chemin de campagne encaissé dans les récoltes et venant couper en oblique la route ensoleillée, où il peine et maugrée de fatigue et d’ennui. Il hâte le pas, arrive à temps dans la bifurcation des routes ; une femme est seule dans la charrette toute sonnaillante de grelots, une femme en robe claire, en grand chapeau de dentelles blanches la coiffant comme d’un fol abat-jour. Elle ne conduit pas précisément bien, la robe claire ; elle tient ses guides comme un éventail et son fouet comme une canne à pêche, mais elle est drôlette, très parisienne, très montmartroise même d’allures et de silhouette dans sa petite carriole astiquée, brillante et vernissée comme un coûteux joujou ; et bip, hop, et hue… et le poney trottine, brinquebale entre les brancards, comme secoué d’un fou rire, tant il trouve celle qui le conduit amusante et drôle… Et Pileur s’avance et la charrette s’arrête, et un cri de joie, qui s’effare et ne veut pas y croire,