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Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/25

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Elle se répand dans ma vie
Comme un air imprégné de sel,
Et dans mon âme inassouvie
Verse le goût de l’éternel.

Et, gagné par l’émotion de ma voix que j’entendais trembler, je mâchais presque les derniers vers ; elle souriait avec entre les cils l’humidité montante d’une larme !

— Vous ne boudez donc plus, trouvait-elle à me dire, alors c’est fini, ces accès nerveux, ces sensations d’éther !

À ce mot, j’avais un frisson. L’éther, elle me parlait d’éther, mais si j’en avais tant bu, à m’enivrer et jusqu’à compromettre mon pauvre cerveau irrévocablement malade, n’était-ce pas sa faute, à elle, la fantasque, l’oublieuse et l’infidèle dont j’avais épié, durant tant et tant de nuits, le front collé aux vitres et les yeux vrillés dans la rue pluvieuse, l’inutile et désiré retour ! Si je m’étais ainsi saturé de poison, n’était-ce pas pour endormir les angoisses affreuses de l’attente dégénérée à la longue en de poignantes étreintes au cœur ! Mais cet éther, qu’elle me reprochait maintenant avec ce joli et pardonnant sourire de grande sœur indulgente, c’est elle qui m’y avait conduit doucement, tranquillement, froidement.