Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/276

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fantaisies comme aux feux de toutes les rampes, s’était, il y a quinze ans, en pleine maturité de beauté et de succès, toquée du beau poète à longue chevelure souple, au contralto vibrant qu’il était alors, lui, grand homme inconnu frais débarqué de sa province et de la veille échoué à Paris pour y tenter fortune, riche de vingt-cinq ans et de ses jeunes illusions. Sur la foi de ses larges épaules et de l’eau profonde de ses yeux bleus frangés de cils noirs, elle avait aimé à la fois en lui l’homme et le poète, s’était enthousiasmée dans sa loge sur la rondeur massive de son cou et dans l’alcôve sur le lyrisme de ses vers. De Morfels arrivait à Paris avec un drame en vers en trois actes qu’il destinait à Duquesnel. Dinah avait lu la pièce, l’avait plutôt écouté lire, s’était emballée sur le rôle, l’avait imposée à son directeur et, se donnant cette fois toute comme jamais elle ne l’avait fait encore, jouant avec sa chair, ses nerfs et son cœur, avait consacré le drame et fait, du jour au lendemain, dans Paris quelqu’un de ce passant apprécié dans son lit la veille.

Comment ce caprice de Dinah Monteuil, la fantasque des fantasques, était-il dégénéré chez l’actrice en passion ulcérée et profonde ?