Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/30

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Oh ! cette première rencontre sur le chemin de halage entre Achères et Poissy, les luisances de miroir de la Seine, comme en fusion, sous les arches cintrées du vieux pont et les hautes futaies des coteaux de Villènes aux frondaisons dormantes se détachant en clair sur un ciel bas et jaune, où flottait ce soir-là je ne sais quel accablant malaise, quelle atmosphère d’orage ; et là, parmi les hautes herbes de la berge, les maigres reines-des-prés et les bouillons, la silhouette de l’inconnue, un peu raide dans sa robe de toile violâtre, l’ombrelle rouge à pois blancs appuyée sur l’épaule et la tête invisible, engloutie sous le tulle froncé de la capeline anglaise… ! Deux enfants jouaient autour d’elle, deux petites créatures aux jambes gantées de hâle, aux cous dorés et aux bras nus.

Elle était leur institutrice ou du moins passait pour telle dans le pays. Institutrice chez cet homme veuf à la mine jouisseuse et bien portante, bookmaker ou maquignon ? Elle habitait avec lui dans la villa du bord de l’eau, à côté de l’usine, et commandait en maîtresse absolue à l’écurie comme à l’office, était en réalité l’âme et la volonté de la maison.