Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/41

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d’adieu, celle qui pendant deux ans a été ma vie, ma souffrance et ma joie, celle dont le départ m’a vidé le cœur de tout mon sang comme un coup de couteau, de celle enfin que je ne puis ni ne veux oublier et c’est elle que j’écoutais en prêtant l’oreille aux beaux vers récités par mon amie l’actrice, la princesse barbare du jardin de banlieue, dont la chantante et douce mélopée évoque en ma mémoire les heures d’autrefois.

En fermant les yeux, il me semble que je la vois !

Je l’ai trop vue, car mon amie vient de fermer le livre ; deux bêtes de larmes roulant sur mes joues l’ont avertie d’avoir à cesser ce jeu cruel : « Assez pour aujourd’hui », me dit-elle ; elle me regarda elle-même avec de grands yeux pleins d’eau qu’elle voulait ironiques et qui n’étaient qu’attendris. « Je ne me prêterai plus à ce manège, si vous n’êtes pas plus raisonnable. J’aggrave votre état au lieu de vous guérir, et cela va de mal en pis. »

De mal en pis, en effet, je sors de ces vigiles le cœur chaviré et la gorge sèche, le front dans un étau, prêt à toutes les folies. Il faut que je m’en aille, je partirai ce soir, il est temps, il le faut.