Page:Lorrain - Buveurs d’âmes, 1893.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décharge, un halo particulier empestant à la fois le guano, le cuir et le poivre, et, dans cet ambre fluide, des torses nus de portefaix, allant et se démenant, biceps bronzés et reins moirés de sueur, et puis sur cette activité en fête, cette gaieté de mouvement et de travail, mille et un bruits divers, de hiements de poulies et des grincements de grues, toute la vie bruyante, industrieuse et grouillante des quais traversée tout à coup par un sourd beuglement de détresse (des bestiaux qu’on embarque) ou d’un grand cri presque fatidique : le cri de la sirène, la sirène des steamers s’engageant dans le port.

C’est là l’amusant et brillant décor que j’ai sous les yeux, dans ce petit restaurant dit au Port de Bahia, au dessus duquel j’ai pris une chambre meublée, préférant pour cette fois, au simili-luxe des hôtels modernes, le pittoresque d’une auberge des quais.

Au Port de Bahia, au Départ, aux Antilles, au Bateau de Honfleur, j’aime d’un amour un peu puéril ces petits restaurants exotiques et leurs enseignes chantantes, leurs titres nostalgiques comme une invitation aux voyages ; j’y retrouve, dans ces petits restaurants étroits et proprets aux plafonds bas et aux boxes obscurs,