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Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/126

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à genoux devant la cheminée ; mon bougeoir allumé à la main, je relevais le tablier.

Dans un brusque déploiement d’ailes, un être accroupi dans l’ombre se redressait tout à coup et reculait en ouvrant démesurément un hideux bec à goitre, un bec membraneux de chimérique cormoran ; à mon tour, je reculais. Quelle était cette bête ? A quelle race appartenait-elle ? Hideuse et fantomatique avec son ventre énorme et comme bouffi de graisse, elle sautelait maintenant dans le foyer, piétinant çà et là sur de longues cuisses grêles et grenues, aux pattes palmées, comme celles d’un canard, et, avec des cris d’enfant peureux, elle se rencognait dans les angles, où ses grandes ailes de chauve-souris s’entrechoquaient avec un bruit de choses flasques.

Effrayée et menaçante, elle dardait affreusement un œil rond de vautour, et, dans un recul de tout son corps, tendait vers moi le tranchant de son bec effilé comme un poignard ; elle tenait à la fois du gnome et de la strige, de l’engoulevent et du nain ; et, ignoblement obscène avec son ventre offert et ses longues cuisses nues, elle sentait le marécage et la ruine, la feuille morte et le sabbat. Je la contemplais, terrifié ; soudain, une rage me prenait, et m’emparant des pincettes, je fondais sur le monstre, le lardant de coups au flanc et au ventre, essayant d’étrangler ce long cou de vautour, de trouer cette chair blême d’oiseau fantôme, exaspéré,