Page:Lorrain - Sensations et Souvenirs, 1895.djvu/193

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tout à coup à l’oreille, des virements entiers de son corps vers on ne sait quelle présence invisible et des salutations, des attentions du geste et de toute la face, des tensions de la tête et du cou vers je ne sais quel mystérieux conseil. Dans la tiédeur et l’apaisement de la haute pièce assombrie de mystère et de tapisseries anciennes, cela prenait des proportions inquiétantes. Tout s’aggrave facilement d’aspects surnaturels dans certains décors, à la tombée de la nuit ; et dans le clair-obscur de la chambre close, à la lueur équivoque de l’unique lampe ennuagée de gazes bleuâtres et des braises rougeoyantes du foyer, je ne pouvais me défendre d’une certaine terreur ; à la longue, ce tête-à-tête m’angoissait : ce Michel Hangoulve, avec ses sautillements et son agitation, m’oppressait comme un cauchemar.

Evidemment, il n’était pas seul, il était entré quelqu’un avec lui, quelqu’un qui lui parlait, auquel il répondait et dont la présence l’obsédait, mais dont la forme échappait à mes yeux, se perdait dans la nuit, demeurait invisible, et les phrases du conte d’Andersen me hantaient, tenaces comme un remords :

« Comme elle descendait l’escalier du palais, elle rencontra de grandes ombres qui le montaient en sens inverse : c’étaient des formes de chevaliers casqués, de dames en hennins et de moines en cagoules ; il y avait aussi parmi eux des prélats