de cette ville de la côte, petit port de pêche qui ne s’éveillait que trois mois d’hiver, à la rentrée des bateaux de Terre-Neuve, pour retomber dans sa torpeur, les Terreneuviers une fois partis ; et si je promène de par le monde une nervosité inquiète un peu maladive, si ma vie, depuis trente ans et plus, n’est qu’une sorte de convalescence, c’est, je crois, pour avoir trop écouté le vent gémir dans les grands arbres de ce jardin isolé et profond.
Mon instinctif effroi de ces pelouses à l’abandon et de ces verdures tardives au printemps, tôt rouillées en automne, était alors aggravé chez moi par l’angoisse où nous vivions déjà depuis deux mois, mon père et moi, près du chevet de ma mère. Je pouvais bien avoir seize ans, grand garçon poussé trop vite, délicat et désœuvré entre les mains d’un professeur. Le médecin, dans la crainte d’affecter le moral de la malade par une robe de religieuse, avait jugé bon de m’en constituer le gardien. Elle était alors au plus fort de sa fièvre typhoïde, le délire ne la quittait pas ; dans la grande chambre à trois fenêtres de l’avant-corps du pavillon, nous nous relayions, mon père et moi, une nuit sur deux auprès d’elle ; mon imagination exaltée prêtait alors aux moindres choses une signification sinistre.
Jamais je n’avais vu ma mère si alerte et si vive, ni personne d’ailleurs, dans un tel état de prostration, et je ne rôdais plus autour de son lit qu’avec des larmes dans les yeux, persuadé que bientôt, je ne