Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/158

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aussi, cette Madeleine ressemblait si peu aux autres, — si peu qu’il ne savait même pas ce qu’il allait lui demander et lui dire. Et il faisait les cent pas, ou bien s’appuyait adossé aux troncs des tilleuls, impatient de son arrivée, tout en ayant presque une frayeur de la voir tout à coup déboucher au tournant de la rue prochaine.

Elle, avant d’avoir déplié ce billet, — le premier qu’on eût jamais osé lui écrire, — avait tout de suite, d’instinct, compris que c’était de lui. Petite créature à part, pensive et fière, élevée dans un milieu d’austérité protestante, hautement dédaigneuse jusqu’à ce jour pour celles que des galants reconduisaient, voici qu’elle n’éprouvait ni irritation ni étonnement en présence d’une hardiesse si nouvelle — parce que cette hardiesse était de lui. Dans son imagination, la beauté et les yeux de Jean avaient, en ces trois jours, pris une place souveraine. Elle n’éprouvait que du trouble, — mais un trouble ignoré jusque-là, un vertige qui faisait danser, tourner, devant ses yeux, maisons et passants, —