Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/191

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les hommes, victorieuse de tout. Des personnages, pour qui ce décor était naturel, passaient, vaquant à leurs étranges petites affaires ; ils avaient des yeux bridés dont les coins extrêmes se relevaient ; leur peau jaune empruntait à la terre un éclat rougeâtre ; ils marchaient, souples et sans bruit, les pieds nus ou chaussés de semelles en papier. Les animaux domestiques, qui paraissaient sur les portes, les oiseaux, qui se couchaient dans les branches, les moindres fleurs au bord du chemin, disaient aux nouveaux venus dans quel grand lointain hostile ils venaient de pénétrer.

Du reste ce petit monde, enfermé sous son suaire d’arbres et séparé de tout, ne s’étonnait pas d’être ainsi, mais plutôt de voir qu’il était possible d’être autrement. Les promeneurs teintés de safran, qui sentaient le musc et la sueur, adressaient aux matelots, en passant sans détourner la tête, de vagues sourires d’ironie, que ceux-ci leur rendaient ; ils se sentaient profondément inconnaissables les uns aux autres. Des filles seules, les matelots