Page:Loti, Matelot (illustration de Myrbach), 1893.djvu/201

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de là-bas ; depuis un séjour qu’il s’était vu forcé de faire à l’hôpital de Hanoï, il n’avait pas pu lui cacher cela. Or, dans sa propre maison de Brest où habitaient d’autres familles de marins, elle venait de voir rentrer, de ces colonies, deux petits soldats tout jeunes, qui, par lettres, ne s’étaient pas avoués très malades, mais qui avaient des mines, oh ! mon Dieu, des mines d’enfants bien perdus… Jamais elle ne s’était sentie si abandonnée, si seule dans son inquiétude — qu’elle ne voulait pas confier à d’autres mères par superstitieuse frayeur. Du sombre, du noir glacé descendaient sur elle comme un enveloppant manteau… Prier ! de temps à autre l’idée lui en venait bien ; mais elle ne pouvait plus. Elle avait eu, pendant ses années jeunes, des élans d’une foi ardente, un peu italienne, un peu idolâtre, peut-être. Aujourd’hui, non, c’était fini, — moins par incrédulité que par sourde révolte contre tant de déceptions et de malheurs accumulés. Il y avait un voile entre le Christ, la Vierge, si indifférents en haut, et elle-même, si déshéritée en