Page:Loti - Aziyadé.djvu/146

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espèce d’homme ou un animal particulier, comme vous voudrez. On se fait sur toute chose des opinions ou des préjugés en rapport avec son état ; on tombe dans un certain milieu de la société, on en prend les idées. Vous acquérez ainsi une certaine tournure d’esprit, ou, si vous aimez mieux, un genre de bêtise qui cadre bien avec le milieu dans lequel vous vivez ; on vous comprend, vous comprenez les autres, vous entrez ainsi en communion intime avec eux et devenez réellement un membre de leur corps. On se fait banquier, ingénieur, bureaucrate, épicier, militaire… Que sais-je ? mais au moins on est quelque chose ; on fait quelque chose ; on a la tête quelque part et non ailleurs ; on ne se perd pas dans des rêves sans fin. On ne doute de rien ; on a sa ligne de conduite toute tracée par les devoirs que l’on est tenu de remplir. Les doutes que l’on pourrait avoir en philosophie, en religion, en politique, les civilités puériles et honnêtes sont là pour les combler ; ainsi ne vous embarrassez donc pas pour si peu. La civilisation vous absorbe ; les mille et un rouages de la grande machine sociale vous engrènent ; vous vous trémoussez dans l’espace ; vous