Page:Loti - Aziyadé.djvu/262

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près complet épuisement des acteurs ; des gens quelconques, matelots grecs ou musulmans, ramassés sur la Corne d’or, dansaient avec fureur ; on leur servait du raki, du mastic et du café.

Les habitués de la case, Suleïman, le vieux Riza, les derviches Hassan et Mahmoud, contemplaient ce spectacle avec stupéfaction.

La musique partait de ma chambre : j’y trouvai Aziyadé tournant elle-même la manivelle d’une de ces grandes machines assourdissantes, orgues de Barbarie du Levant qui jouent les danses turques sur des notes stridentes, avec accompagnement de sonnettes et de chapeaux chinois.

Aziyadé était dévoilée, et les danseurs pouvaient, par la portière entr’ouverte, apercevoir sa figure. C’était contraire à tous les usages, et aussi à la prudence la plus élémentaire. On n’avait jamais vu dans le saint quartier d’Eyoub pareille scène ni pareil scandale, et, si Achmet n’eût affirmé au public qu’elle était Arménienne, elle eût été perdue.

Achmet, assis dans un coin, laissait faire avec soumission ; c’était drôle et c’était navrant ; j’avais envie de rire, et son regard à elle me serrait le cœur. Les pauvres petites filles qui poussent sans