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Page:Loti - Fleurs d’ennui, 1893.djvu/64

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Des pierres, des pierres. Pas d’arbres, pas de verdure, une uniformité grise.

De grandes coulées de pierre, tout unies comme des lacs morts, — et puis des houles de pierre, des soulèvements et d’effrayantes montagnes de pierre.

Une rivière, la Trébinitza, à laquelle le vieux Styx devait ressembler, coulant dans un lit de pierre au milieu d’une plaine de pierre. Aucune végétation sur ses bords, comme si son limon était maudit, — et puis elle s’engouffre et disparaît dans les abîmes souterrains.

Par-ci, par-là, de petites menthes à fleurs blanches ou des tapis de cyclamens roses ; — et, en l’air, au-dessus de ces choses mornes, des hiboux qui tournoient sans bruit.


En avançant encore, on arrive à la région des arbres. — Des broussailles rabougries d’abord, — et puis on entre en forêt : une forêt comme on n’en voit qu’en Herzégovine, toute hérissée d’aiguilles de pierre. Entre chaque arbre, une pointe qui se dresse, comme un autre arbre pétrifié.

De loin en loin, de petits hameaux effondrés, brûlés, sinistres. — Cinq années d’une guerre d’extermination ont passé là-dessus. Des montagnards slaves sortent des ruines de leurs maisons et se postent, d’un air de méfiance, pour vous regarder passer. Ils sont grands et blonds ; ils ont des poignards et des coutelas plein leur ceinture.