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Page:Loti - Fleurs d’ennui, 1893.djvu/70

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de l’immensité de la mer. Les deux continents, l’ancien et le nouveau s’avançaient bien là-bas, au nord, comme deux caps gigantesques venant s’abîmer au milieu des eaux ; mais nous les avions dépassés, ils étaient loin derrière nous, et il n’y avait plus rien maintenant que ce sombre désert, liquide et mouvant, étendant jusqu’au pôle d’en dessous sa courbure infinie.

Et on avait conscience d’être seul et perdu, au milieu de puissances terribles, qui par hasard étaient au repos.

Les pléiades d’oiseaux de mer qui peuplent l’hémisphère austral, subissaient, comme toujours, ce calme des choses. Au lieu de tournoyer par milliers, en criant comme des poulies qui grincent, ils étaient tous assis sur l’eau, se taisant et se laissant bercer ; on rencontrait des familles d’albatros, de malamochs, de pétrels gris, de damiers blancs et noirs, qui flottaient à la dérive ; ils étaient posés et ils dormaient.

Voici, mon cher Plumkett, un souvenir de pleine mer. Vous y trouverez une odeur saine qui achèvera de vous remettre de notre voyage chinois.


Je faisais mon quart de midship, et n’avais guère qu’à flâner, en regardant le ciel.

A côté de moi, un timonier promenait sa longue-vue sur l’horizon, — je ne sais pourquoi, car on est toujours seul dans ces parages.