Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/198

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Le crépuscule vient, accompagné d’une pluie glacée et il rend infiniment lugubres ces désolations glorieuses. En l’air, où il fera plus longtemps jour, on entend encore la bataille des bêtes d’Apocalypse, peut-être au-dessus des nuages qui nous jettent leur obscurité triste. Sur terre, la canonnade continue de s’apaiser, et surtout elle se fait plus lointaine, là-bas, sur les talons des Boches en fuite ; tout au plus quelques obus désorientés tombent encore, de-ci de-là. Tous nos travailleurs cantonniers s’en vont, par groupes, la pioche et la pelle sur l’épaule, et leur départ commence à faire de ce lieu une solitude par trop funèbre ; je dois d’ailleurs m’en aller aussi, ma mission terminée.

Comme tableau final, m’arrive encore un long cortège de « poux gris », ainsi que nos soldats les nomment ; prisonniers marchent au pas, maculés de boue jusqu’aux épaules, profilés en grisailles épaisses sur les grisailles transparentes de la pluie et du soir. Je détourne la tête pour n’avoir pas à rendre le salut au petit groupe de leurs officiers, car j’en aperçois deux ou trois là dedans qui