Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/26

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lointain du canon se mêle seul aux petits trilles éperdus des rossignols. Un ciel de mai, immobile et doux, d’un gris rose de tourterelle, est tendu comme un voile d’une seule pièce au-dessus de mon long voyage de ce jour ; il fait paraître plus éclatant le vert des feuilles neuves et des interminables tapis d’herbe. Elle est trop touffue, cette herbe, receleuse de loques et de débris sinistres ; il semble qu’elle recouvre plus que de raison ce sol des plaines, qui est partout profondément labouré en boyaux et en tranchées, qui est partout semé de fascines et de grandes ferrailles, avec çà et là des trous d’obus ou de monstrueux entonnoirs de marmites. De temps à autre, surgit un village qui n’a plus forme de rien ; les maisonnettes et l’église se sont effondrées les unes sur les autres, comme un château de cartes contre lequel on a soufflé. Il y a aussi des bois, ne nous montrant que des moignons d’arbres, tordus et fracassés, où des branchettes, épargnées par hasard, essaient tout de même de reverdir, de se mettre en fête, comme aux tranquilles printemps de jadis. À mesure que l’on approche de la région que les Bar-