Page:Loti - L’Inde (sans les Anglais).djvu/45

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Entre chien et loup, je cherche mon chemin de retour dans une autre région qui est plus doucement triste encore et qui semble absolument de nos climats. Tout en gardant au fond de moi-même d’une façon confuse, — d’une façon latente, si l'on peut dire — le sentiment de la forêt indienne qui m’enserre de tous côtés sur une profondeur de tant de lieues, je me retrouve tout à fait comme parmi nos chênes verts de Saintonge ou d’Aunis, je marche en confiance comme dans nos bois. — Et, me croyant d’ailleurs très seul, je frissonne soudain en apercevant à côté de moi un trop grand bonhomme noir, les mains sur les hanches et la tête penchée : un bouddha de granit assis là depuis deux mille ans !…

En s’avançant tout près de son visage, on distingue encore, dans la lumière éteinte, ses yeux baissés et son sourire éternel.



L’heure, ici, de la grande sérénité religieuse, c’est surtout l’heure de la lune, quand les dagabas des temples étendent au loin sur la jungle la traînée colossale de leur ombre. Et la lune ce soir rayonne toute bleue, et j’ai précisément, pour ma seule nuit passée dans le bois sacré, une lumière d’Éden.

Cela rappelle la splendeur de nos plus limpides et chaudes nuits de juillet, avec je ne sais quoi de diffé-