Page:Loti - La Mort de notre chère France en Orient, 1920.djvu/20

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puis surtout, il y eut par centaines des banquiers levantins qui, les mains pleines d’or, veillaient partout ; c’étaient gens habiles et acharnés à découvrir, au flair, les quelques rares petites âmes à vendre qui çà et là entachaient nos rangs, et, sous leur patronage, des calomnies salariées s’insinuaient de temps à autre par surprise dans nos feuilles les plus intègres ; contre les pauvres Turcs, des insultes infiniment regrettables se faufilaient sans trop de peine, tandis qu’il ne fallait jamais toucher aux Arméniens ni aux Grecs.

Pauvre livre, je n’ai même pas eu le temps de le composer ; il s’est fait tout seul, au jour le jour, au hasard des aberrations de notre politique hésitante, qui, au fond, sentait bien la pente fatale, mais n’avait pas le courage de se raidir, de s’arrêter. Avec angoisse, comme la plupart des Français de mon temps, j’ai suivi, de chute en chute, cette course à l’abîme, qui laissera dans l’histoire de notre race la première tare indélébile ; je l’ai suivie en me disant : Non, cela ne se peut pas, la conscience et le bon sens français vont finir par se reprendre au bord du précipice ; nous ne commettrons pas cette imbécillité et ce crime de contribuer à anéantir la race la plus loyale de l’Europe et la seule