Page:Loti - La Mort de notre chère France en Orient, 1920.djvu/302

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recueillie il y a dix ans chez le prince. Elle a toujours été admirablement traitée, elle a gardé son nom chrétien d’Isabelle, on ne lui a jamais parlé religion, on l’a respectée et parfaitement élevée. On la quitte à regret et on lui paye même une voiture pour faire le chemin. (Les voitures en ce moment sont à des prix fous, personne n’en prend.)

Le lendemain on voit arriver à l’orphelinat un nègre porteur d’un trousseau complet, robes, étoffes, lingerie, et en plus de beaux bijoux. Cela lui était destiné, on ne voulait pas la laisser quitter la maison de son enfance sans l’avoir comblée. Voilà nos Turcs ! Remarquez bien ce détail délicat : ce fut fait le lendemain, non pas sous l’influence d’une intimidation quelconque, mais par pure bonté et générosité.

Le fait m’a été conté par la dame qui venait de recevoir elle-même la jeune fille dans son orphelinat. Cette dame, Arménienne, donc pas amie des Turcs, ajoutait fort raisonnablement qu’elle ne pouvait pas aimer les massacres de ses frères (à propos de ces massacres, il y aurait beaucoup à répondre !) mais qu’elle se trouvait tous les jours quand même devant des faits d’une délicatesse et d’une noblesse telles qu’elle était obligée d’admirer.