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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/129

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avoir manqué leur effet de vieilles, mais trop absolument jeunes pour en être flattées.

Dans la tourmente qui soufflait de plus en plus froide, sous le ciel balayé et clair, éparpillant des branchettes ou des feuilles, ils se promenaient maintenant comme de vieux amis ; malgré ce vent qui coupait des paroles, malgré le tapage de cette mer qui s’agitait tout près d’eux au bord du chemin, ils commençaient d’échanger leurs pensées vraies, ayant quitté vite ce ton moitié persifleur, dont ils s’étaient servis pour masquer l’embarras du début. Ils marchaient lentement et l’œil au guet, réduits à se pencher ou à se tourner quand une rafale cinglait trop fort. André s’émerveillait de tout ce qu’elles étaient capables de comprendre, et aussi de se sentir déjà presque en confiance avec ces inconnues.

Et au milieu de ce mauvais temps et de cette solitude propices, ils se croyaient à peu près en sûreté quand soudain, devant eux, au tournant de la route là-bas, croquemitaine leur apparut, sous la figure de deux soldats turcs en promenade, avec des badines à la main comme les soldats de chez nous ont coutume d’en couper dans les palisses. C’était la plus dangereuse des rencontres, car ces braves garçons, venus pour la plupart du fond des campagnes d’Asie, où l’on ne transige pas sur les vieux principes, étaient capables de se porter aux violences extrêmes en présence d’une chose