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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/24

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ces appels des navires, on les sentait venir de très loin et d’en bas, ce qui donnait la notion d’être dans une zone de tranquillité, sur quelque colline au-dessus de la mer.

Élégante et blanche, la chambre où pénétrait ce soleil et où dormait cette jeune fille ; très moderne, meublée avec la fausse naïveté et le semblant d’archaïsme qui représentaient encore cette année-là (l’année 1901) l’un des derniers raffinements de nos décadences, et qui s’appelait « l’art nouveau ». Dans un lit laqué de blanc, —où de vagues fleurs avaient été esquissées, avec un mélange de gaucherie primitive et de préciosité japonaise, par quelque décorateur en vogue de Londres ou de Paris, —la jeune fille dormait toujours : au milieu d’un désordre de cheveux blonds, tout petit visage, d’un ovale exquis, d’un ovale tellement pur qu’on eût dit une statuette en cire, un peu invraisemblable pour être trop jolie ; tout petit nez aux ailes presque trop délicates, imperceptiblement courbé en bec de faucon ; grands yeux de madone et très longs sourcils inclinés vers les tempes comme ceux de la Vierge des Douleurs. Un excès de dentelles peut-être aux draps et aux oreillers, un excès de bagues étincelantes aux mains délicates, abandonnées sur la couverture de satin, trop de richesse, eût-on dit chez nous, pour une enfant de cet âge ; à part cela, tout répondait bien, autour d’elle, aux