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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/246

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de se lancer dans la mêlée, mais toujours impassibles et énigmatiques sous le voile baissé, tandis que se démènent leurs bateliers chamarrés d’or. Et, si l’on fait cinq ou six cents mètres à peine, en remontant la gentille rivière, on est dans l’épaisseur des branchages, entre des arbres qui se penchent sur vous, on touche les galets blancs du fond, il faut rebrousser chemin, alors on tourne à grand-peine, tant l’étroit caïque a de longueur, et on redescend le fil de l’eau, —mais pour le remonter ensuite, et puis le redescendre, comme qui ferait les cent pas dans une allée.

Quand son caïque eut tourné, dans la petite nuit verte où le ruisseau finit d’être navigable, André songea : « Je vais sûrement croiser mes amies, qui ont dû arriver aux Eaux-Douces quelques minutes après moi. » Il ne regarda donc plus les femmes assises par groupes sur l’herbe, plus les paires d’yeux noirs, gris ou bleus que montraient toutes ces têtes enveloppées de blanc ; il ne s’occupa que de ce qui arrivait à sa rencontre sur l’eau. Un défilé encore si joli dans son ensemble, bien que ce ne soit déjà plus comme aux vieux temps et qu’il faille parfois tourner la tête pour ne pas voir les prétentieuses yoles américaines des jeunes Turcs dans le train, ni les vulgaires barques de louage où des Levantines exhibent d’ahurissants chapeaux. Cependant les caïques dominent encore, et il y en avait aujourd’hui de remarquables, avec leurs beaux