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Page:Loti - Les Désenchantées, 1908.djvu/53

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sorte de petite étoile dont on citait l’érudition, les jugements, les innocentes audaces, en même temps que l’on copiait ses élégances coûteuses ; surtout elle était comme le porte-drapeau de l’insurrection féminine contre les sévérités du harem.

Après tout, elle ne le brûlerait pas, ce journal commencé le premier jour du tcharchaf ! Plutôt elle le confierait, bien cacheté, a quelque amie sûre et un peu indépendante, dont les tiroirs n’auraient pas chance d’être fouillés par un mari. Et qui sait, dans l’avenir, s’il ne lui serait pas possible de le reprendre et de le prolonger encore ?… Elle y tenait surtout parce qu’elle y avait presque fixé des choses de sa vie qui allait finir demain, des instants heureux d’autrefois, des journées de printemps plus étrangement lumineuses que d’autres, des soirs de plus délicieuse nostalgie dans le vieux jardin plein de roses, et des promenades sur le Bosphore féerique, en compagnie de ses cousines tendrement chéries. Tout cela lui aurait semblé plus irrévocablement perdu dans l’abîme du temps, une fois le pauvre journal détruit. L’écrire avait été d’ailleurs sa grande ressource contre ses mélancolies de jeune fille emmurée, —et voici que le désir lui venait de le continuer à présent même, pour tromper la détresse de ce dernier jour… Elle demeura donc assise à son bureau, et reprit son porte-plume, qui était un bâton d’or cerclé de petits rubis. Si elle avait